Les Suppliantes, une réécriture
Lors de ces trois dernières années le projet « Belle de mai à l’assaut du ciel » nous a conduit aux sources de la République sociale en enquêtant, puis en créant un spectacle documen-taire pluridisciplinaire autour du Bataillon de la Belle de mai pendant le soulèvement de la Commune de Marseille en 1871.
Nous sommes partis sonder cette narration avec un centre creux avec près de 300 enfants et adolescents du quartier ; conduit par un collectif d’artistes, performeurs, compositeur, au-teur, plasticiens, chorégraphe….
Ces jeunes ont produit une œuvre (musicale, éditoriale, plastique, théâtrale filmique et tex-tuelle) que les plus petits de certaines écoles du troisième continu d’alimenter lors d’ateliers. Pendant le confinement nous avons dû arrêter le travail en présentiel, mais en continuant à distance l’apprentissage des chants, l’orchestre, les chorégraphies, l’écriture….
Comme nous faisons partie du Comité d’Habitants Organisés du 3eme (CH03), nous nous sommes engagés dans l’action de secours et de veille sanitaire et sociale. Au cours de ces actions nous avons tissé des liens très forts avec de nombreuses familles, mais aussi avec de nombreux parents d’enfants et d’adolescents que nous avions dans nos ateliers. Nous avons été –faute de moyens dans le troisième- des travailleurs sociaux d’appoint pendant plus de cinq mois et nous avons suivi des centaines d’habitants précaires jusqu’aux portes fermées des administrations, épaulés par la Cimade, la fondation Abbé Pierre et la Frater-nité.
NOTE D’INTENTION
La répétition ad libitum des démarches afin d’acquérir l’hospitalité nous a tout de suite amené à considérer Les Suppliantes d’Eschyle comme notre prochaine étape ar-tistico-sociétale.
Depuis près de 150 ans, ce quartier le plus pauvre de France est la zone où trouvent refuge ces populations fragilisées, immigrés.es intra et extra européen.
Au terme de leur épuisant parcours, la seule solution qui s’offre à la plupart des migrants est la demande d’asile : ils étaient un peu plus de cent vingt mille dans ce cas, en France, en 2018. D’après la loi, relève du droit d’asile toute personne persécutée en raison de son ac-tion en faveur de la liberté – formule assez restrictive, un peu élargie toutefois par la notion de « protection subsidiaire » émanant d’une directive européenne. Si, dans son principe, ce droit d’asile fait l’objet d’un certain consensus, ses applications concrètes offrent plus matière à litiges – et de fait, dans notre pays, à peine plus d’une demande sur trois débouche sur le statut de réfugié
Le mot asile, d’origine grecque, est formé d’un alpha privatif et d’une racine qui renvoie à l’habitude de dépouiller les ennemis de leurs armes. Étendu aux édifices religieux, réputés inviolables, l’adjectif asulos a donné un substantif plus rare qui dans Les Sup-pliantes d’Eschyle désigne pour la première fois le droit d’asile, dans le sens où nous l’enten-dons aujourd’hui. La pièce d’Eschyle n’est du reste rien d’autre que l’histoire d’une demande d’asile : rappelons-en l’argument. Les cinquante Danaïdes, dont le chœur ouvre la pièce, fuient le delta du Nil pour échapper a des violences dans leur pays d’origine, l’Égypte. Sous la conduite de leur père, la troupe a choisi de gagner l’Argolide, berceau de sa lignée (les Danaïdes descendent de l’union de Zeus et d’Io). Adoptant l’attitude religieuse des sup-pliantes elles demandent asile au roi du pays Pélasgos, en usant du double argument de leur ascendance commune et de la violence dont elles sont menacées. Celui-ci soumet sa décision au consentement de son peuple, qui vote à l’unanimité l’accueil des étrangères, malgré la menace d’une guerre avec les Égyptiens. Dans ce qui constitue une sorte de péri-pétie les poursuivants débarquent et entreprennent d’entraîner les suppliantes vers leur vais-seau. Heureusement le roi intervient avec sa troupe d’hommes armés et la pièce se termine par un chant d’action de grâce, tempéré par une certaine inquiétude en suspens.